Mode : quel impact du genre sur les tendances actuelles ?

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Jeune femme en trench et baskets dans la ville

Les statistiques ne jurent plus que par la neutralité de genre : cette saison, les dressings des grandes marques affichent une mutation franche. Les coupes figées, les silhouettes assignées à un genre précis ? Reléguées au rang d’archives. Printemps-été 2025 s’annonce sans barrières, et l’industrie de la mode s’en empare à pleine main.

Genre et mode : une histoire en pleine mutation

Depuis le Moyen Âge, le genre a dicté les grandes règles du jeu vestimentaire, séparant strictement les vêtements des hommes de ceux des femmes. Georges Vigarello l’analyse : le vêtement, dès ses débuts comme signe social, s’est appuyé sur une différenciation marquée. Mais la mécanique s’enraye. Sous l’impulsion des Gender Studies et du travail de Judith Butler, la binarité s’effrite. Alice Pfeiffer le souligne : le mouvement no gender remet en question la dimension performative du genre et secoue l’ensemble des normes de l’industrie de la mode.

Chaque époque a vu ses figures iconoclastes secouer les codes. Voici quelques exemples marquants :

  • Coco Chanel bouscule les conventions en intégrant le blazer masculin à la garde-robe féminine.
  • Jean-Paul Gaultier fait défiler la jupe pour homme, met en lumière Andreja Pejic, mannequin androgyne.
  • David Bowie explose les frontières du genre avec Ziggy Stardust et la Peacock Revolution.
  • Virginia Woolf, dans Orlando, explore la fluidité de l’identité sexuelle.

Les jeunes générations, observées par Yann Weber, repoussent la division homme/femme jusque dans la coupe des vestes et la sélection des matières. Mode unisexe, collections gender-fluid : la dynamique ne fait que s’intensifier.

Le rythme s’accélère. Sur les réseaux sociaux et dans les lignes éditoriales, les termes drag, queer, intersectionnalité deviennent familiers. La mode se transforme en laboratoire où se mêlent identités, revendications et expressions personnelles. Le vêtement, loin d’être un simple indicateur de statut ou de genre, sert désormais d’outil d’affirmation, d’espace de liberté, et de révélateur de la porosité des normes héritées.

La mode non genrée, simple tendance ou vraie révolution ?

Le discours des marques ne jure plus que par le gender-neutral. Sur les podiums comme dans les rayons, les vêtements se veulent inclusifs, sans étiquette. Zara, H&M, Selfridges ou Asos adaptent leurs collections : pièces unisexes, coupes amples, couleurs neutres, matières flexibles. Poussées par les réseaux sociaux et par une jeunesse qui réclame diversité et représentativité, les stratégies marketing évoluent à grande vitesse.

La fast fashion s’empresse d’occuper le terrain avec des campagnes inclusives, des mannequins non-binaires, des collaborations signées par des créateurs militants. Les personnalités telles que Sam Smith, Christine and the Queens ou Timothée Chalamet incarnent cette évolution et donnent un visage à la mode sans barrières. Pourtant, la réalité est plus contrastée. Francesca Burns met en avant un point rarement abordé : le manque de vêtements accessibles aux grandes tailles, notamment au-delà du 44. Sous le vernis de la diversité, la standardisation persiste, limitant l’accès à certains corps.

Quelques initiatives marquantes :

  • Gucci Mx, une section inclusive disponible sur l’e-shop de Gucci.
  • Selfridges a créé l’expérience Agender en boutique.
  • TomboyX propose des vêtements pour un large éventail de tailles et d’identités.
  • No Sesso, sous la direction de Pierre Davis, conçoit des créations pensées au-delà du genre.

La généralisation de la mode non genrée bouscule l’industrie. Est-ce une simple adaptation commerciale ou un vrai mouvement de fond qui redéfinit les normes ? Les collections se diversifient, mais l’enjeu de l’inclusivité réelle demeure entier.

Printemps-été 2025 : zoom sur les styles qui bousculent les codes

Ce printemps-été 2025, la mode s’empare sans détour des normes de genre pour les détourner et ouvrir de nouveaux horizons. Sur les défilés, l’androgynie s’impose : vestes oversize inspirées du vestiaire masculin, superpositions audacieuses, jeux de transparence, coupes pensées pour tous. Les maisons Gucci, Maison Margiela ou Coperni brouillent les repères traditionnels en misant sur une neutralité assumée des matières et des volumes. Coperni revisite même la cravate, symbole masculin, pour la transformer en mini-robe hybride, clin d’œil assumé à l’héritage de Gaultier.

Beaucoup de créateurs renouent avec le minimalisme des années 1960 : lignes nettes, absence d’ornements, teintes sobres. Ce style, loin d’être impersonnel, devient un terrain d’appropriation pour toutes les identités. Le streetwear de luxe, tiré par Off-White ou Balenciaga, impose un langage universel, mélangeant sweat-shirts, baskets et tailleurs déconstruits. Les silhouettes s’ouvrent à la pluralité des morphologies, sans restriction ni assignation.

La mode responsable s’inscrit dans cette dynamique. Stella McCartney et Patagonia privilégient l’usage de matières recyclées et la transparence sur la fabrication. Des créateurs comme Harris Reed, figure de la fluidité de genre, ou Collina Strada, qui a fait défiler Aaron Rose Philip, mannequin transgenre et à mobilité réduite, concrétisent cette ouverture. Les plateformes comme Depop encouragent aussi les échanges de vêtements sans distinction de genre.

En 2025, le vestiaire ne se contente plus de coller à une identité unique. Les collections deviennent des espaces de liberté où chaque pièce affirme la richesse des expressions individuelles et la capacité de la mode à fissurer les certitudes.

Adolescent nonbinaire assis sur les marches d

Explorer son identité à travers des looks sans étiquette

Pour nombre de jeunes, s’habiller aujourd’hui, c’est s’émanciper des frontières héritées. La mode n’est plus une question d’exubérance ou de provocation gratuite, mais un terrain d’exploration, un espace où l’expérimentation prime sur le regard des autres. Instagram, TikTok : ces plateformes servent de vitrines à des expressions vestimentaires libérées. Le hashtag #DeGenderFashion, lancé par Alok, rassemble une communauté décidée à revendiquer l’autonomie vestimentaire, loin des codes binaires.

Voici comment cette nouvelle approche s’incarne au quotidien :

  • La confiance en soi se construit à travers les assemblages : chaque vêtement est choisi pour ce qu’il raconte, et non pour ce qu’il devrait être.
  • Des influenceurs et personnalités queer, tels que Sam Smith ou Hunter Schafer, deviennent des exemples de liberté et d’émancipation, inspirant d’autres à franchir le pas.

Pour la communauté LGBTQ+, la mode gender-neutral constitue un moyen d’expression et de reconnaissance. Les plus jeunes mixent les rayons, s’approprient des silhouettes hybrides, construisent des looks à leur image, parfois en guise de manifeste. La prise de conscience des enjeux écologiques liés à la fast fashion accélère cet élan : vintage, seconde main, slow fashion deviennent autant de voies pour s’affirmer et respecter la planète.

Le vêtement, loin de n’être qu’un uniforme, se mue en déclaration. Tisser son identité, c’est choisir des matières, des coupes, des couleurs en toute autonomie, sans jamais se laisser assigner. Dans cet espace mouvant, la mode devient refuge, terrain d’expérience, et tribune. Une génération entière l’a bien compris : la liberté commence souvent par le choix de sa tenue.