Traumatisme intergénérationnel : découvrir un exemple marquant

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Certains tremblements traversent les générations sans jamais faire de bruit. Un enfant tressaille à chaque porte qui claque, alors qu’il n’a jamais entendu le sifflement des bombes. Sa grand-mère, elle, court encore dans sa mémoire, fuyant l’écho d’un passé que personne n’ose nommer. D’où viennent ces peurs qui semblent n’appartenir à personne ? Et comment la mémoire d’un drame ancien s’invite-t-elle dans les gestes les plus quotidiens, traversant le temps sans demander la permission ?

Il y a des héritages qui ne s’inscrivent ni dans les mots ni dans l’arbre généalogique, mais qui s’insinuent, presque à la dérobée, dans les replis de l’intimité familiale. Les silences pèsent parfois plus lourd que les confessions, et certaines blessures se transmettent sans jamais être racontées. Jusqu’où le passé peut-il façonner la vie de ceux qui n’en ont que l’écho ?

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Traumatisme intergénérationnel : comprendre un phénomène invisible mais puissant

Le traumatisme transgénérationnel : voilà un mot savant pour désigner un malaise sourd, hérité d’un choc psychique dont on n’a pourtant pas été témoin. De Rachel Yehuda à Boris Cyrulnik en passant par Anne Ancelin Schützenberger, la science a tranché : ce n’est ni une légende ni une simple humeur familiale. Les études sur les descendants de rescapés de l’Holocauste, du Cambodge ou des guerres civiles révèlent une réalité troublante : anxiété, troubles du sommeil, dépression, maladies chroniques, douleurs inexpliquées… le passé s’invite dans le corps et dans l’esprit, sans prévenir et sans demander l’avis de la mémoire.

Ce legs ne se résume pas à une histoire qu’on transmet ou à un silence pesant. Les recherches de Rachel Yehuda vont plus loin : il existe des modifications épigénétiques – autrement dit, l’expression des gènes se transforme sans que l’ADN lui-même ne change. Le choc de la génération précédente s’inscrit dans la biologie de la suivante, parfois à l’insu de tous.

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  • Le traumatisme familial agit comme une onde de choc : il touche l’esprit, le corps, les émotions, les comportements.
  • Certains enfants développent très tôt des troubles, posant la question de la force de cette transmission muette.
  • Vivian M. Rakoff et Hélène Dellucci ont élargi le champ : ces transmissions se retrouvent aussi dans les lignées marquées par la violence, l’inceste ou la guerre.

Le trouble de stress post-traumatique n’est plus seulement une question d’individu : il devient une histoire de famille, de lignée, de trajectoires bouleversées. Parfois, la santé mentale d’un enfant n’a de sens qu’à la lumière d’un passé qu’il ignore totalement.

Quels mécanismes favorisent la transmission d’une génération à l’autre ?

La transmission transgénérationnelle du traumatisme n’emprunte jamais un seul chemin. Côté biologique, l’épigénétique occupe le devant de la scène. Les recherches de Rachel Yehuda sur les familles de survivants de l’Holocauste l’ont montré : le stress vécu par les parents s’imprime dans les gènes de leurs enfants et même de leurs petits-enfants, sans toucher à la séquence de l’ADN. Un choc parental laisse ainsi une trace physiologique, indélébile, sur plusieurs générations.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : la transmission sociale et émotionnelle se glisse entre les mots, au détour d’une habitude, d’un geste, d’un silence qui en dit long. Un parent traumatisé transmet, presque malgré lui, ses angoisses, ses peurs ou sa distance émotionnelle à ses enfants. Parfois, l’émotion contenue devient un langage à part entière, aussi marquant qu’un récit.

  • La transmission comportementale s’incarne dans la répétition de schémas, de réactions, dans la vie de tous les jours.
  • Les secrets de famille pèsent lourd, renforçant la puissance de l’héritage invisible.

Croisées, ces dynamiques font de la famille un véritable théâtre, où se rejoue sans cesse une histoire dont personne n’a écrit le scénario mais dont les répliques traversent les générations.

L’exemple marquant d’une famille confrontée à l’héritage du passé

Impossible d’ignorer l’impact du traumatisme transgénérationnel chez les descendants de survivants de l’Holocauste. Dès les années 1960, le psychiatre Vivian M. Rakoff observe une fréquence inhabituelle de troubles anxieux et dépressifs chez ces enfants, pourtant nés bien après la fin de la guerre. Rachel Yehuda, en neurosciences, va plus loin : elle démontre que le stress parental modifie la manière dont les générations suivantes réagissent au stress.

Prenons la famille Levi, installée à Paris après la Libération. Trois générations s’y succèdent : des grands-parents rescapés, des parents d’après-guerre, puis des petits-enfants. Le silence règne sur les repas ; personne ne parle de ce qui a été vécu. Pourtant, chez les enfants, l’inquiétude s’invite dans le sommeil, l’anxiété s’accroche, des phobies apparaissent. On observe aussi des manifestations somatiques : eczéma, migraines, troubles digestifs… et aucun médecin ne trouve l’origine.

  • La fille cadette, devenue adulte, consulte pour des crises d’angoisse. Rapidement, le psychiatre met au jour une histoire familiale tissée de non-dits et de peurs diffuses.
  • Le fils aîné, quant à lui, se méfie de toute figure d’autorité, nourrit une colère qu’il ne comprend pas.

La souffrance, invisible mais bien réelle, s’installe dans les gestes du quotidien. Sans que personne ne prononce le moindre mot, la mémoire de ceux qui ont survécu continue de façonner les réactions de ceux qui leur succèdent.

héritage familial

Peut-on se libérer de ce poids transmis malgré soi ?

Briser la chaîne du traumatisme transgénérationnel n’a rien d’une opération magique, mais des chemins existent. Anne Ancelin Schützenberger, pionnière de la psychogénéalogie, a proposé une méthode : dresser un génosociogramme, sorte d’arbre généalogique où les événements marquants prennent place, révélant les failles, les silences, les répétitions. Cette cartographie familiale met à jour ce que l’histoire officielle tait.

La thérapie joue un rôle clé dans ce processus. L’EMDR (désensibilisation et retraitement par mouvements oculaires), étudiée par Hélène Dellucci, aide à retraiter les souvenirs perturbateurs. La thérapie narrative permet de redonner du sens au parcours familial, de réécrire une histoire commune moins douloureuse.

  • La résilience se construit dans le temps, portée par la rencontre, le travail sur soi, la capacité à nommer les blessures héritées.
  • Le soutien de la famille et l’expression des émotions deviennent des atouts majeurs pour sortir du cercle vicieux.

Les professionnels de la santé mentale accompagnent ces démarches : ils invitent à revisiter l’histoire familiale, à transformer la transmission d’une mémoire douloureuse en énergie nouvelle. Les découvertes en épigénétique rappellent que tout n’est pas figé : la mémoire du corps peut évoluer, et l’héritage familial, aussi lourd soit-il, peut parfois se transmuer en force.